La pair-aidance

Catherine Tourette Turgis : En 1935, deux personnes souffrant d’une dépendance à l’alcool et de ses répercussions sociales négatives décident, dans un contexte de faiblesse des réponses médicales et psychothérapeutiques, d’échanger sur le vécu de leur expérience.

Les effets positifs de ce dispositif d’entraide mutuelle, exempt de toutes interventions extérieures, sont immédiats. Ce mouvement sera suivi par l’émergence d’autres mouvements d’auto-support comme celui des « Narcotiques Anonymes ».

Les collectifs de malades sont nés dans le cadre de pathologies, comme celles liées à la dépendance, où il n’existe pas de consensus sur l’efficacité des traitements. Ils ont plus de chances de se faire entendre dans les parcours de soin complexes, exposés aux errances thérapeutiques.

Dans le cas plus politique de la lutte contre le Sida, ce sont les malades qui ont guidé les premiers raisonnements médicaux et ont orienté les politiques publiques de prévention et de soin. De même, dans le domaine de la santé mentale, ce sont les patients qui ont découvert la notion de rétablissement et qui l’ont imposée dans le champ de la psychiatrie. Le rétablissement signifie la prise en compte des dimensions non médicales de la maladie et ce dès le diagnostic.

Il faut faire partir deux lignes d’action en même temps dans le parcours de soin, l’une centrée sur la rémission symptomatique et l’autre sur le devenir de la personne. Or cette dernière requiert des pratiques de pair-aidance et de soutien mutuel qui représentent l’espoir !

Les pairs-aidants ont démontré leurs capacités à transformer leur humiliation en résistance et leur stigmatisation en outils et en force.

et pour en savoir plus sur Catherine Tourette Turgis et son impact dans le monde des patients: https://www.udp-sorbonne.fr/ 

Des témoignages :

JOURNÉE DÉPARTEMENTALE DE L’EDUCATION THERAPEUTIQUE DU PATIENT

18 OCTOBRE 2024

THEMATIQUE : LA PAIR-AIDANCE

BIBLIOTHEQUE VIVANTE

TÉMOIGNAGE DE MATHILDE

Lors d’une rencontre je fais la connaissance de Nelly. Elle a 40 ans, 3 ans enfants comme moi, dont des Jumelles, comme moi. Les similitudes continuent : elle a une très mauvaise santé, elle est en errance de diagnostic depuis 17 ans… Une de ses filles a les mêmes symptômes qu’elle et son état inquiète la maman qu’elle est. Rien de plus normal, combien je peux la comprendre. Je souffre plus de voir ma fille en crise, que lorsque je souffre moi-même….

Alors je l’écoute, je reformule, je vérifie avoir bien compris, je questionne lorsque c’est nécessaire…

Dans ma tête des petites sonnettes s’actionnent dans ma tête, mais chuttt, je ne suis pas médecin, je reste dans mon rôle : écoute et accompagnement. Et de façon naturelle, je lui conseille de voir un autre médecin généraliste : le mien. Celui-ci s’est spécialisé dans ma maladie génétique rare après mon diagnostic.

Après sa 1ere visite, le médecin me téléphone (avec l’accord de Nelly bien sûr) et me confirme : « ça sent le SED. Je lui fais faire les examens et l’adresse au centre de référence maladie rare SED ».

Je suis donc en accompagnement régulier avec Nelly notamment sur des aspects techniques : essayer les vêtements compressifs, étudier les matelas anti-escarres pour limiter les douleurs, privilégier le repos, se faire aider par sa famille, proposer les petit Tips qui améliorent la qualité de vie et allègent la fatigue quotidienne.

J’interviendrai d’ailleurs comme médiatrice lors d’un repas avec son conjoint et ses enfants. Parce qu’avec cette mère en errance médicale, toute la famille (et même le couple) souffre et dysfonctionne. Je leur donne des idées concrètes sur l’aide qui peuvent apporter à leur femme et maman : elle n’est pas une fainéante, elle ne fait pas ça pour attirer l’attention, elle a une vraie maladie. Avec leurs concours respectifs, les évolutions peuvent être ralenties, voire retardées.

J’explique la maladie, je rassure, je précise que nous ne connaissons pas tous la même évolution. Preuve en est seul un de mes jumeaux est touché. Cela pourrait se comprendre pour mes enfants dizygotes (un garçon / une fille) mais c’est moins évident dans son cas avec des jumelles monozygote. Le Professeur Hamonet (poiture du SED) suit justement des vrais jumeaux dont l’un est très fortement touché (en fauteuil) et l’autre pas du tout. Les mystères de la génétique n’ont pas fini de nous interpeler !

Je la rassure disais-je : elle me voit en fauteuil et ne doit pas se projeter forcément dans un avenir identique. Elle a une forme de maladie hyperlaxe, mais sa pratique du sport lui permet de ne se luxer que quelques fois dans le mois les genoux et les épaules. Elle a encore beaucoup d’autonomie, arrive encore à travailler par intermittence.

Mon accompagnement va être centré sur « prendre en compte cette nouvelle donne » et l’annonce du diagnostic. Continuer à faire mais faire autrement. Se fixer des objectifs et surtout prioriser les choses.

Je lui relate la conversation avec le psy qui m’a reçu à la suite de l’annonce de mon diagnostic. Il m’a dit : – « vous êtes loin on ne va pas faire de suivi, donc enregistrez notre entretien et faite le écouter à votre famille et vos soignants.

  • Faite le tri autour de vous : Ne garder que les personnes empathiques ou sympathique… les autres sortent …
  • Puis priorisez :
    • Vert : vous êtes bien, vous avez quelque chose de prévu : vous y aller
    • Orange : Vous n’êtes pas au top : c’est un évènement que vous pouvez décommander = faites le = vous repassez dans le vert !
    • ROUGE : Vous n’êtes pas au top du tout, mais vous ne pouvez pas vous y soustraire : vous y allez MAIS vous bloquez plusieurs jours de récupération derrière».

Me voici à transmettre cette nouvelle philosophie de vie, cet équilibre qui fait de nous des funambules avec le sentiment que parfois c’est le vent qui décide de notre équilibre… Pas facile. Puisqu’être pair-aidant c’est avoir une vision lucide de sa situation, cela m’oblige à être honnête avec moi-même : suis-je équilibrée ? Ne pas me mettre en « danger », ne pas trop en faire au prétexte d’aider quelqu’un, apprendre, réapprendre et surtout accepter ses nouvelles limites. Tel est mon crédo.

Parfois mon accompagnement est long : Prendre un RDV avec un médecin d’un centre spécialisé peut relever du parcours du combattant et mobiliser une demi-journée voire une journée entière. On a rarement les secrétaires du 1er coup et le simple fait d’être surstimulé au niveaux auditif et visuel engendre une fatigue importante. Le risque est grand d’éprouver le sentiment de n’avoir rien fait ou pas grand-chose et de tirer son moral vers le bas. J’utilise une infographie de SED1+ qui propose les cuillères comme unité d’énergie. Elle est très représentative et permet de comprendre que rien que prendre une douche utilise ¼ de notre énergie du jour (quand c’est une bonne journée) mais ½ lorsque nous sommes en crise. Permettre de visualiser tous les efforts qui nous sont demandés [même ceux que l’on juge insignifiants] aide la personne à se détacher du sentiment de ne servir à rien, ou de n’avoir rien fait.

Parfois mon accompagnement ne prend que quelques minutes, histoire de se décharger de la fatigue mentale, de parler de ses douleurs que peu de personnes peuvent comprendre : – « crois-tu que ce soit le SED ? » Je ne suis pas médecin, mais par expérience on ne va pas consulter systématiquement, on apprend à réduire les luxations et à analyser quel anti douleur on va utiliser : le chaud, le froid, les patchs anesthésiques, le test, la morphine… A force de vivre avec la maladie et dans la volonté que l’on a de comprendre ce qui nous arrive, on connait le tableau clinique et on peut orienter. L’exercice est d’autant moins dangereux que le médecin m’a donné son 06, et que je peux le solliciter au moindre doute.

Le plus gros de notre apprentissage est donc de gérer nos douleurs chroniques sans aller chez le médecin tous les 2 jours. Cela demande du temps, du tâtonnement, de la confiance en notre jugement. Même avec la même maladie, nous ne ressentons pas identiquement les douleurs. Nous avons nos particularités. L’accompagnement permets aussi d’apprendre à s’écouter et de dissocier la maladie d‘autres possibles comorbidités. Mon médecin dit souvent : – « avoir le choléra n’empêche pas d’avoir la peste… ». Alors, il ne nous reste plus qu’à ne pas se sur-angoisser et à éliminer des diagnostics qui peuvent être inquiétant.

Ah ou je ne vous ai pas dit, le SED (syndrome Eler Danlos), c’est une mutation du collagène. Notre corps en est composé à 80%… Alors imaginez une immense roue de l’infortune avec 20% des cases « tout va bien », et les 80% d’autres cases notées « SURPRISE ». Vous tombez sur : tu vas te luxer le genou dans la nuit, puis le matin c’est ton intestin qui se luxera… Tu mettras quelques bonnes dizaines de minutes à te remettre, puis un autre organe aura décidé de s’exprimer… Fatigue, dyautonomie, douleurs neuropathiques assimilables à des séances de torture… la vie est donc un éternel apprentissage.

Voici les sites recommandés par Mathilde

https://innovation.agefiph.fr/articles/pair-aidance-la-cle-de-lemancipation#:~:text=N%C3%A9e%20en%20France%20d%C3%A8s%20le,de%20les%20aider%20%C3%A0%20regagner
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Catherine_Tourette-Turgis
https://www.espairs.org/pairaidance

TÉMOIGNAGE DE FABRICE

Vers une formalisation de ma pair-aidance
Peut-être s’agit-il de bien penser pour mieux panser…


Par sa construction linguistique, l’expression « pair-aidant » s’ajoute donc à la liste des nombreux aidants que sont l’aidant naturel, le proche aidant, l’aidant familial… il suggère aussi que le « pair-aidant » exerce vers un « pair-aidé ». En français, parler de pair-aidant formel ou de pair-aidant professionnel ne va pas forcément de soi. En effet, par sa construction lexicale, il est un des aidants. Or, le terme aidant s’oppose à celui de soignant. Par définition, le soignant exerce dans une démarche professionnelle et/ou formelle. L’aidant agit lui, au contraire de façon informelle, dans une relation plus intime et souvent sous le cadre de l’espace privé.

Au début, il y a la pair-aidance informelle. C’est une amitié entre personnes partageant les mêmes problématiques. Elle est faite de solidarité, de réciprocité. Ensemble, ces amis s’épaulent. Cette entraide embryonnaire est cependant extrêmement importante.

Pour me sociabiliser et me stabiliser, j’intègre un hôpital de jour. Je m’y fais des amis partageant des troubles psychiques comme moi. Grâce à eux, j’ai beaucoup moins d’idées noires, car je me sens apprécié malgré mon handicap.

Une pair-aidance informelle a cependant ses limites. Pour pouvoir la reproduire à grande échelle, il faut formaliser ces méthodes d’entraide, à exploiter ces savoirs expérientiels et trouver un cadre/une institution où exercer.

Pendant la covid, enfermés chez nous, nous rendons compte des limites de cette entraide entre amis. Ensemble, nous instaurons donc des rendez-vous en ligne puis des jeux vidéo coopératifs pour briser nos angoisses. Nous instaurons ainsi une première méthode d’entraide.

J’intègre ensuite un Groupe d’Entraide Mutuelle (GEM). Nous réalisons des activités en commun entre personnes concernées. Si la stigmatisation est insupportable, il s’avère qu’il n’y a rien de pire que l’autostigmatisation. C’est parfois pire que la maladie elle-même. Nous avons à trouver nous aussi notre place dans la cité. Le GEM est le premier lieu dans lequel exercer la pair-aidance. Cette dernière prend alors une dimension communautaire.

À contrario, à la pair-aidance informelle, la pair-aidance formelle s’exerce dans le cadre d’une structure, d’une méthode ou d’une institution. Il y a tout un spectre de pairs-aidances allant de la plus informelle vers la plus formelle.

Je continue à formaliser ma pair-aidance, en acquérant des savoirs théoriques (PSSM[1], formation ETP 2 , DU 3 de pair-aidance). En effet, j’y acquiers le vocabulaire et des méthodes qui me seront utiles pour épauler mes pairs.

Je suis désormais un pair-aidant professionnel engagé au sein de la maison des usagers du centre hospitalier George Sand.

1 Premiers Secours en Santé Mentale

2 Education thérapeutique du Patient

3 Diplôme universitaire